Gradus ad Parnassum - Cours d'écriture musicale
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Une vie de catalogue

Une vie de catalogue

Une question d’un internaute à propos du catalogue des œuvres de Joseph Haydn, le fameux catalogue Hoboken, m’a rendu quelque peu nostalgique : les années passent, et les catalogues aussi évoluent. Ma génération, celle des années cinquante, a été familière de tant de numéros d’opus, certains devenus références incontournables. On désigne en effet l’ultime sonate de Beethoven par son numéro d’opus…l’Opus 111, ou la magistrale Hammerklavier, l’Opus 106. À tel point que « Opus 111 » a pu devenir dans les années 90 un label.

Parmi ces longues séries d’opus, mot latin à l’aura particulière, un attardé au milieu des mille termes italiens du vocabulaire musical, un catalogue faisait figure d’exception, celui des œuvres de Jean-Sébastien Bach. Nous en décelions intuitivement la légitimité : il était bien naturel que le maître des maîtres eût un catalogue à part, signe de sa singularité, l’illustre « bé-doublevé-vé ». Le BWV inscrit sur les pages de titre des partitions, impressionnant par un numéro parfois vertigineux…BWV 1040, ajoutait à l’autorité du maître. Seuls quelques initiés, familiers de la langue allemande, entendaient Bach Werke Verzeichnis, à savoir catalogue des œuvres de Bach.

Notons au passage que le BWV ne concerne pas la seule œuvre de Bach, mais de bien d’autres compositeurs. Il existe en effet un HWV pour Haendel, un BuxWV pour Buxtehude, un ABWV pour Anton Bruckner, pour se limiter à ces grands noms.

Un petit mot pour l’étrange WoO, c’est-à-dire Werk ohne Opuszahl, œuvre sans numéro d’opus. Il s’agit des œuvres mineures, souvent du très jeune âge du compositeur, peu dignes de figurer dans la liste des opus.

Mozart, quant à lui, faisait également exception avec le légendaire Köchel, souvent noté aujourd’hui KV, pour Köchel Verzeichnis.

D’autres compositeurs se singularisaient par une apparente absence de catalogue. Nous ignorions tout d’un éventuel catalogue Debussy ou Ravel, dont chaque œuvre, par sa singularité, ne semblait pas devoir figurer dans une liste dès lors bien incongrue. Ici, plus de séries de sonates, quatuors ou symphonies, mais des Danseuses de Delphes, des Collines d’Anacapri, des Pas sur la neige, des Oiseaux tristes, de féériques jardins et mille autres titres. L’esprit français s’accommodait mal des numéros d’opus.

Et puis, de nouveaux catalogues se sont peu à peu imposés pour certains compositeurs.

Les innombrables et si merveilleuses sonates de Scarlatti avaient leur catalogue Longo : L 42, L 98… et puis dans les années 80, un autre catalogue fit son apparition : le Kirkpatrick, où l’ordre des sonates est totalement bouleversé. Il supplanta peu à peu l’ancien Longo de notre jeunesse. Ainsi, la lumineuse sonate en Mi majeur, Longo 23, devint-elle Kirkpatrick 380. Le grand claveciniste Scott Ross, décédé prématurément, enregistra les cinq cent cinquante-cinq sonates de Scarlatti répertoriées par Kirkpatrick.

Il en est allé de même pour Schubert. Deux œuvres m’ont profondément marqué : les deux séries d’impromptus, les Opus 90 et 142, dont je revois encore les opus figurer sur la pochette du disque trente-trois tours. Adieu les opus schubertiens ! place au catalogue Deutsch. Pour être précis, j’indique moi-même aujourd’hui D 958 pour la sonate en ut mineur. L’opus est définitivement obsolète et ne figure plus nulle part.

Pour revenir à Haydn, le catalogue Hoboken fait désormais autorité, avec une originalité qui intrigue parfois certains. En effet, avant le numéro proprement dit, figure un chiffre romain suivi de deux points, Hoboken XVI : 36, ou plus couramment H XVI : 36. Le chiffre romain désigne la catégorie d’œuvres. Ainsi I pour symphonie, III pour quatuor à cordes, XV pour trio, XVI pour sonate pour piano.

Les catalogues font indéniablement partie d’un imaginaire musical. L’histoire de la musique en est en quelque sorte ponctuée. Ils sont sans doute indispensables, car nous aurions quelque difficulté à mentionner telle ou telle œuvre, à moins d’avoir recours à des descriptions hasardeuses du type « mais oui, tu sais, la sonate, celle qui commence par les trois ré dans le grave, en noires… » (Beethoven, Opus 28). Et puis disons-le, nous sommes attachés aux listes. Depuis la bien prosaïque « liste des courses », jusqu’au catalogue BWV. Un grand écrivain italien les a évoquées, Umberto Eco, dans « le vertige de la liste », comme solidement chevillées au cœur de la culture européenne.

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